Denis Soubeyran : quel bilan politique de 2023 ?

La guerre en Ukraine qui dure
A l’international, c’est quand même le phénomène majeur pour nous, Européens. L’Ukraine, c’est à nos portes. Quatre pays de l’UE (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie) ont des frontières communes avec ce pays que la Russie tente d’envahir. Les missiles perdus tombent sur le territoire de l’UE.
L’Europe réarme. La Russie devient une économie de guerre. On voit à cette occasion qui sont ses partenaires (Iran, Chine, Corée du Nord, Turquie…). Les pays de l’UE accompagnent les Etats-Unis dans le transfert massif d’armes vers l’Ukraine. Nous sommes pratiquement en guerre avec la Russie, même si, officiellement, aucune armée de l’UE ne prend part au conflit. Les alliances se renforcent avec notamment l’adhésion à l’OTAN de la Finlande (2023) et de la Suède (en cours).
Sur le terrain, 2023 n’a pas montré de progrès décisif, ni des Russes, ni des Ukrainiens. Confronté à ce qui deviendrait sa plus grande défaite militaire et idéologique, Poutine peut difficilement reculer. De même, une défaite serait catastrophique non seulement pour l’Ukraine mais pour les pays occidentaux. Les pays, nombreux, qui se tournent vers le modèle européen (Ukraine, mais aussi Géorgie, Bosnie, Moldavie, Serbie…) seraient amenés à reconsidérer leur candidature à l’UE. Les enchères montent et on ne voit pas le jeu gagnant.
Face à cette situation, en France, certains appellent à baisser la garde et à ménager la Russie. La guerre de l’Ukraine ne serait pas la nôtre et porterait un préjudice économique à la France. C’est le cas du RN, bien sûr, mais on sent aussi des hésitations chez E. Macron, pour qui le souci de préparer « l’après » rejoint sans doute une forme de respect pour Poutine.
2024 va être l’année où sera posée la question de la sincérité de notre engagement aux côtés de l’Ukraine : si les Etats-Unis diminuent leur aide, si les Ukrainiens reculent, les Européens seront-ils capables de renforcer leur soutien ? Faudra-t-il aller jusqu’à une intervention armée, éventuellement hors du cadre de l’OTAN ? Une vraie question pour les sociaux-démocrates réformateurs.

La réforme des retraites enfin derrière nous

Ce n’était peut-être pas la plus intelligente des réformes (le mécanisme dit « à points » était plus séduisant), mais elle allait dans le bon sens : celui de l’équilibre des recettes et des dépenses permettant de préserver notre système de retraites par répartition. Avec le recul, on a du mal à comprendre pourquoi le gouvernement s’est laissé entraîné dans des négociations qui n’ont pas vraiment amélioré l’acceptabilité de la loi qu’il portait, tout en entamant sérieusement son capital politique. Un 49-3 plus tôt aurait sans doute moins divisé les Français.
Force est de constater que dans les oppositions, peu de partis politiques ont été à la hauteur de la situation, la plupart, à gauche comme à droite, se contentant de pousser à la dépense sans expliquer comment ils financeraient le déficit. On aurait aimé par exemple entendre une parole de gauche responsable proposant de diminuer un peu les retraites pour pouvoir alléger la charge pesant sur les jeunes actifs, ce qui était un peu l’idée du Macron de 2017 et aurait été une alternative à l’allongement de la durée des cotisations. Mais cela était plus difficile que de crier avec les loups.
Le bilan de cette affaire n’est pas très favorable à la démocratie participative : face à des dispositifs juridiques et sociaux d’une grande complexité, d’une part, au manque de goût pour la concertation de la plupart des partis et syndicats, d’autre part, existe-t-il d’autre voies de réforme que la confiscation du débat (49-3, ordonnances, etc.) ? C’est triste à dire pour un social-démocrate réformateur, mais l’utilité de notre Constitution, faite pour assurer la prééminence du Président sur le Parlement en temps de crise, a été confirmée.

Une France qui a eu tendance à se replier sur elle-même

2023 aura marqué une accélération de la diffusion des thèmes nationalistes, voire xénophobes, dans notre pays, ce que l’on appelle pour faire bref la « lepénisation des esprits ». Déjà, la notion de « souveraineté », présente, depuis 2022, dans le nom de deux ministères (finances et agriculture) aurait dû nous alerter. Il s’agissait d’un virage idéologique. Outre la volonté de préserver la paix, l’Union européenne repose en effet sur l’idée que la souveraineté est d’autant plus effective qu’elle est partagée. De fait, les politiques financière ou alimentaire sont largement partagées au sein de l’UE, comme beaucoup d’autres (médicaments, douanes, circulation des capitaux, des services, des personnes, etc.). Aujourd’hui, de plus en plus de Français pensent cependant qu’il faut « reprendre le contrôle », comme le disaient les Brexiters en Angleterre avant de sortir de l’UE. Face à eux, peu de partis osent défendre les vertus de l’ouverture des marchés, de la liberté des échanges, de la circulation des personnes, qui paraissaient pourtant naturelles il y a trente ans à des hommes de gauche comme Jacques Delors. Ils savaient que c’était une condition de la croissance économique et de l’attractivité des territoires. Il faut dire qu’au même moment, l’écroulement économique et politique de l’URSS montrait les dangers du modèle opposé.
La loi Darmanin sur l’immigration, qui a marqué l’actualité politique de fin 2023, va dans le même sens : au-delà d’une collection de mesures techniques dont on sent bien que, même si elles sont acceptées par le Conseil constitutionnel, elles ne vont pas changer fondamentalement le niveau de l’immigration illégale, il s’est agi de désigner l’étranger comme celui qui menacerait le système social, la sécurité, l’identité culturelle de notre pays. La gauche a eu raison de le relever, même si certains des partis qui la composent accusent dans le même temps, sans souci de cohérence, l’Europe d’être « néo libérale » en promouvant la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et de capitaux.

La difficulté de sortir du Tout-État

2020 et 2021 ont été les années des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire (PGE, aides à l’exploitation, etc.), 2022 celle des mesures exceptionnelles liées à la crise énergétique (boucliers tarifaires…).
2023, d’une certaine manière, aurait pu être une année « normale » après ces crises, mais la croissance économique a beaucoup ralenti, notamment sous l’effet de l’augmentation des taux d’intérêt.
L’Etat français ressort de ces années avec une dette massive et de vagues promesses de revenir à un déficit public inférieur à 3 % du PIB en 2027 (après les élections présidentielles).
La revue des dépense publiques lancée début 2023 par le gouvernement pour retrouver un peu de crédibilité sur les marchés financiers a fait long feu. La réalité est que personne ne sait aujourd’hui comment équilibrer les recettes et les dépenses publiques sans provoquer de graves remises en cause sociales. Au contraire, les besoins sociaux non couverts apparaissent évidents : éducation, santé, environnement, etc. La bonne nouvelle est que les agences de notation n’ont pas trop dégradé la France, mais pour combien de temps ? Nous sommes sous surveillance.
A droite, les partis souhaitant arriver au pouvoir affirment qu’ils réduiront les dépenses publiques, sans bien préciser lesquelles. A gauche, on ne souhaite pas réduire les dépenses publiques, on fait semblant de croire que faire payer plus d’impôt aux ultra-riches et aux entreprises résoudra le problème. On aimerait entendre des voix de gauche proposant un autre modèle, compatible avec nos engagements européens, pratiquant une juste redistribution, stimulant le travail, ne faisant pas fuir le capital, mais en cette fin 2023, on peine à les identifier. Faudra-t-il une crise financière pour retrouver un modèle viable ?

Une gauche de gouvernement encore introuvable

2023 aura vu une évolution assez rapide du paysage politique dans notre pays, avec une droite de plus en plus à la remorque du Rassemblement national, une gauche-NUPES en voie d’éclatement et un centre dont on sent bien que son unité est provisoire car liée exclusivement à la personne d’Emmanuel Macron.
L’avenir dira si l’éclatement de la gauche-NUPES est durable ou s’il est provisoire car lié à des considérations tactiques pour les élections européennes.
Cet éclatement, même provisoire, conjugué avec les tiraillements de plus en plus sensibles au sein de Renaissance aurait pu être l’occasion rêvée pour lancer un grand mouvement social-démocrate réformiste ayant vocation à accueillir un partie des anciens électeurs du PS, du MRG, du PC, des écologistes, convaincus de l’utilité de l’Europe, de l’économie de marché régulée, de l’importance des libertés individuelles, de la laïcité, de la nécessité de donner à chacun les mêmes chances dans la vie, etc.
Force est de constater qu’un tel mouvement n’a pas encore réellement vu le jour, même si Bernard Cazeneuve a manifesté sa volonté d’aller en ce sens. Dès lors, nous assistons, impuissants, à la montée en puissance du RN pour les élections européennes, au maintien probable de Renaissance moyennant son évolution rapide vers l’électorat de droite, et au retour sur la scène des vieux partis de gauche et de LFI dont on sent bien qu’ils auront du mal à susciter l’enthousiasme des électeurs.
Les élections européennes de 2024, à travers une liste de rassemblement, marqueront-elles le début du retour de la gauche de gouvernement en tant que mouvement politique ? C’est une des questions qui se posent aux sociaux-démocrates en ce début 2024.