L’Ukraine : enjeu « existentiel » des élections européennes !

Les taux de participation électorale aux élections européennes, chroniquement très bas depuis
leur instauration en 1979, traduisent une difficulté persistante à intéresser les Français à ce
scrutin.
Cela s’explique par leur incapacité à en discerner les enjeux concrets pour leurs conditions de
vie et pour leur avenir, mais aussi par la tendance des listes en présence à nationaliser les
campagnes et à parler d’autre chose que de l’Europe. On en connait le résultat : une abstention
massive faute de pouvoir voter en connaissance de cause.
Nous ne connaissons pas encore les axes de campagne des élections européennes de l’an
prochain, mais nous appelons à ce qu’ils n’éludent pas les redoutables défis que nous pose la
guerre d’Ukraine et l’incertitude de son issue.
Ce n’est pas une figure de style d’affirmer que le retour de cette guerre d’agression, qui peut
nous paraître encore géographiquement lointaine, nous concerne autant aujourd’hui que
l’invasion des Sudètes par Hitler en 1938. Vladimir Poutine ne cache pas qu’elle s’inscrit dans
une croisade globale contre l’Occident et les valeurs de nos démocraties, Union européenne en
tête ! Elle peut tourner au cauchemar pour les européens si le soutien des États-Unis n’est plus
assuré après les présidentielles de novembre 2024.
Cette guerre est engagée bien au-delà de l’Ukraine, sous diverses modalités : ingérence
numérique dans les campagnes électorales des grandes démocraties, pressions politiques
croissantes dans les Balkans, en Géorgie et dans les États européens voisins de la Russie,
financement de partis politiques dans nos pays et éviction des occidentaux de leurs aires
d’influence historique.
Dans ces registres de guerres hybrides périphériques, trop occultés par le bruit des canons en
Ukraine, il faut être d’un aveuglement confondant pour ne pas voir les avancées d’ores et déjà
réalisées par Poutine avec la marginalisation des occidentaux au Proche-Orient, de la France en
Afrique et la constitution d’un front anti occidental inquiétant de régimes totalitaires ou
corrompus.
Cette situation est à ce point alarmante et complexe qu’elle pourrait courageusement inciter à
parler d’autre chose si elle n’engageait pas l’avenir de l’Union Européenne et celui de notre
modèle de société.
Nous devons certes prendre la mesure des enjeux de transition vers un nouveau modèle
climatique, énergétique, numérique et industriel qui doit composer avec les rivalités affirmées
de la Chine et des Etats-Unis. Nous devons être vigilants sur les enjeux démocratiques dans un
monde de plus en plus percuté par la montée des démocraties illibérales, des extrêmes et du
retour de la brutalité. Mais ces grands défis ne doivent pas occulter les enjeux de sécurité et de
solidarité stratégique des européens, cruciaux pour notre indépendance et notre capacité à
relever tous les autres.
L’UE a su jusqu’à présent réagir et se mobiliser face aux crises : soutien financier et militaire
à l’Ukraine, mise en place d’outils pour proscrire les messages de haine et leurs diffuseurs,
durcissement de la politique commerciale qui a perdu une forme de naïveté, pacte vert qui
assigne des objectifs qui n’ont aucun équivalent dans le monde et orientent les États membres dans la décarbonation de leur économie, révision de la politique énergétique vers un mix plus soutenable, retour en grâce de la politique industrielle et plan de relance Next Generation EU
qui aide les transitions climatiques et numériques plus particulièrement dans les pays dont les
finances publiques ont été laissées exsangues par les crises précédentes.
La campagne électorale qui va s’ouvrir pour élire le prochain Parlement européen, le 9 juin
prochain, doit s’inscrire dans ces réorientations et, pour ce qui concerne la gauche, dans
l’exigence de mécanismes de justice et d’accompagnement social des transitions. Mais ce serait
laisser un boulevard aux nationaux-populistes d’esquiver la question « existentielle » que pose
à l’Europe la croisade anti-occidentale de Poutine à nos portes.
Le Conseil européen du 14 décembre vient de décider d’ouvrir les négociations d’adhésion de
l’Ukraine et de la Moldavie à l’UE et d’accorder le statut de pays candidat à la Géorgie. C’est
la réponse géopolitique nécessaire, à défaut d’être militairement suffisante, pour contenir les
visées impériales et totalitaires de Poutine sur ses voisins et garantir la sécurité des démocraties
européennes.
Cet élargissement stratégique plus qu’économique nécessitera une réforme des processus
d’adhésion et de décision au sein de l’UE ainsi que des protections pour les secteurs
économiques exposés au futur élargissement. Mais comme l’aide à l’Ukraine en guerre, il doit
être clairement soutenu par les gauches pro européennes.
Ce serait une faute grave d’enfermer les élections européennes de l’an prochain dans les leurres
de politique intérieure que les nationaux populistes, affinitaires de Poutine, vont agiter pour
faire diversion de ce qui se joue à Kiev.
Au coeur de cette campagne, il s’agit d’affirmer avec netteté la nécessité de construire en priorité
un espace commun de souveraineté européenne à travers une Europe de la défense, une Europe
qui définit ses frontières avec l’extérieur, qui les protège et relève efficacement le défi de
l’immigration et de l’asile, une Europe qui poursuit sans relâche sa transition climatique ainsi
que la recherche de son autonomie stratégique au plan sanitaire, énergétique, sur les chaînes
d’approvisionnement et sur les filières d’avenir, mais aussi au plan militaire qui n’est pas dans
son ADN.
C’est à la condition d’affronter sans les esquiver les dangers nationalistes, intérieurs et
extérieurs, qui menacent l’avenir de notre modèle de société, que nous remobiliserons un
électorat attaché à nos libertés, à notre mode de vie et aux principes essentiels de nos
démocraties.
Gilles Savary, ancien député européen
Marie-Annick Barthe, maîtresse de conférences, ancienne conseillère de Paris
Denis Soubeyran, président de Pollen